L'activisme social dans les jeux

*Cet article explique pourquoi il y a une place pour l'activisme social dans les jeux et décrit le processus de réflexion que Mythic Games, en tant qu'éditeur, a suivi et a été amené à cette conclusion. Veuillez lire jusqu'à la fin. 

Bienvenue dans un nouvel article de notre série hebdomadaire, Les coulisses du jeu. Aujourd'hui, nous saisissons cette occasion pour parler d'un problème un peu différent des différentes étapes que suit un jeu avant de rejoindre vos étagères. Même s’il n'a rien à voir avec le jeu lui-même, il est lié aux personnes qui travaillent pour faire d’un jeu une réalité, et aux gens qui se retrouvent autour d’une table pour jouer. Aujourd'hui, nous parlerons de l'activisme social dans le monde du jeu. 

À la lumière des récents événements survenus aux États-Unis principalement, et des protestations qui ont eu lieu dans le monde entier, beaucoup de gens, nous y compris, se sont demandés : "Pourquoi devrais-je prendre part à tout cela ? C'est une situation politique, nous faisons des jeux. Nous n'exprimons pas notre opinion sur les élections, pourquoi devrions-nous faire une déclaration maintenant ? Nous faisons des jeux, nous ne sommes pas là pour discuter de politique". Et c'est vrai, nous, en tant qu'éditeur, et tous les autres éditeurs, ne sommes pas là pour discuter de politique, nous sommes là pour faire des jeux. Des jeux que les gens vont acheter et mettre sur leur table. Et qu'ils inviteront d'autres personnes à jouer avec. Nous sommes ici parce que nous fabriquons un produit dont nous sommes fiers, parce qu'il favorise la socialisation des gens. Et différentes personnes seront assises autour d'une table, principalement pour jouer et s'amuser, mais aussi pour apporter avec elles leurs antécédents et qui elles sont. Donc essentiellement, même la très innocente activité de jeu, dans une certaine mesure, apporte des normes sociales à la table. 

Tout cela peut ne pas être intuitif pour tout le monde. Il faut y réfléchir. Ainsi, la première chose que nous avons faite, en tant qu'éditeur, a été de nous poser la question, puis de discuter entre nous et de réfléchir à la réponse ci-dessus. Il est maintenant évident que discuter des protestations qui éclatent dans le monde n'est pas une sorte de déclaration politique, mais qu'il s'agit d'aborder un problème de société, qui sera finalement abordé à la table où quelqu'un joue à l'un de nos jeux. Cela amène une deuxième question dans notre discussion. "Allez, peut-être qu'ils exagèrent ? Cela ne peut pas être si grave". Là encore, la réponse n'est pas intuitive et elle est liée au contexte dans lequel chacun évolue. Ce qui nous amène à la deuxième étape de tout ce processus : l'éducation. 

Toutes ces manifestations ont été déclenchées en réaction à un cas de brutalités policières contre une personne de couleur, mais elles sont devenues bien plus que cela. Elles sont devenues une revendication pour un changement global de nos sociétés, sur la façon dont les « BIPOC » (les personnes noires, indigènes et de couleur) sont perçues, et comment elles sont habituellement traitées par les autres. La situation sociétale aux USA et dans les différents pays européens est différente sur certains points ; là aussi, la réponse n'était pas évidente. C'est à ce moment que nous avons décidé de nous éduquer. De comprendre où se trouvaient les racines du problème. Et toutes les recherches que nous avons menées montraient, finalement, qu'une grande partie des BIPOC ne se sentent pas en sécurité dans leur vie quotidienne. Elles ne se sentent pas en sécurité lors d’activités banales, comme aller faire ses courses, ou faire un jogging en famille. Comme nous avions déjà acquis que les normes sociales apparaissaient dans une certaine mesure autour d'une table de jeu, cela signifiait que les BIPOC ne se sentaient pas probablement en sécurité dans un environnement ludique. Cela n'a rien à voir avec la politique, mais avec les droits fondamentaux des êtres humains. La théorie de la motivation en psychologie humaine, et en particulier la hiérarchie des besoins de Maslow, classe le besoin de sécurité et de protection comme le second besoin le plus important d'une personne, et le besoin de socialisation et d'appartenance (avoir des amis avec qui jouer, dans notre cas) est juste au-dessus. 

Parlons plus en détail de ce point. Qu'est-ce que signifie « ne pas se sentir en sécurité dans un environnement de jeu » ? Ce sentiment peut se traduire de plusieurs façons. Cela peut vouloir dire qu'une BIPOC ne se sent pas en sécurité en travaillant pour nous en tant qu'éditeur, parce qu'elle craint de ne pas être traitée équitablement, de subir des discriminations, de ne pas recevoir les mêmes opportunités que les autres, ou même de voir ses efforts ridiculisés. Cela peut aussi signifier qu'une personne de couleur peut éprouver de l'anxiété à l'idée de participer à nos événements en ligne ou au Mythic Day, ou de se rendre à notre stand dans une convention, parce qu'elle pense que l'environnement ne sera pas assez sûr pour qu'elle puisse s'asseoir à une table de jeu et apprécier une partie. Cela peut aussi signifier que chez certaines personnes ayant acheté l'un de nos jeux compétitifs, la seule raison d'inviter une BIPOC à leur table est peut-être de pouvoir « l'écraser » et montrer à quel point ils leur sont supérieurs. Il existe une liste immense de « micro-agressions » qui peuvent survenir à l’encontre d’une personne de couleur, et des choses que quelqu'un peut dire sans même s'en rendre compte. En tant qu'éditeurs, nous devons nous poser ces questions. Est-ce ainsi que nous nous comportons ?

La réponse est claire : absolument pas. Ce n'est pas ce que nous sommes, aussi bien en tant qu'individu qu’en tant qu'éditeur. Et ce n'est pas de cette façon que nous voulons voir pratiquer nos jeux. Ce qui nous mène à la question à un million d'euros : « Que pouvons-nous faire pour changer la situation ? ». Nous engager dans l'activisme social. 

Il n'est pas facile d'identifier ces problèmes s'ils ne vous affectent pas directement. Et tout particulièrement si en tant qu'éditeur, vous n'y êtes pas confronté dans votre vie quotidienne. Vous vous préoccupez des problèmes qui ont trait au développement d'un jeu, à sa production et à sa livraison. Et quand vous identifiez ce qu’il faut changer, c'est encore plus dur de mettre en œuvre une solution, et ce n'est certainement pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Alors que faire ?

1. S'éduquer. Avant tout, nous devons comprendre ce que ressentent les personnes concernées, ne serait-ce qu'un peu. Alors nous étudions. Et beaucoup. 
2. Commencez par des petits pas. En tant qu'éditeur, nous voulons dire à tous les BIPOC que nous voulons qu'ils se sentent en sécurité avec nous. Vous êtes tous en sécurité dans vos interactions avec nous, qu'elles soient numériques ou en face à face. Et vous devriez vous sentir en sécurité lorsque vous êtes assis à une table à jouer à l'un de nos jeux. 
3. Travailler pour devenir meilleur. Nous devons activement faire des choses pour vous montrer que vous êtes en sécurité et que vous êtes représentés. Il s'agit pour nous d'un processus à deux volets. La partie la plus simple consiste à s'assurer que les personnes appartenant à des minorités visibles sont représentées de manière équitable dans nos jeux. Ce n'est pas quelque chose que nous avons abordé de manière active, cela s'est produit de manière intuitive jusqu'à présent. Nous discutons actuellement en interne de la manière dont les communautés de base peuvent être mieux représentées dans nos jeux. Nous planifions à l'avance afin que nos futures versions soient alignées sur cet effort. La partie la plus difficile est de contribuer à un changement sociétal plus large. Aider à changer la norme sociétale qui fait que les BIPOC ne se sentent pas en sécurité. Et bien que nous ne puissions pas changer le monde seuls, nous pouvons faire notre part en tant que rouage d'une plus grande machine. Nous ferons donc un don à la NAACP afin de soutenir son travail visant à garantir l'égalité des droits politiques, éducatifs, sociaux et économiques afin d'éliminer la discrimination fondée sur la race.

Au cas où nous n'aurions pas été clairs : notre silence récent était dû au fait que nous avions décidé de nous instruire avant de faire une déclaration. Sans avoir acquis certaines connaissances, elle serait restée creuse. Nous nous tenons aux côtés des gens de couleur pour promouvoir le changement, et nous resterons à leurs côtés durant tout ce processus. Nous continuerons à travailler pour nous améliorer. Car pour nous, tout ceci n'est pas une action ponctuelle. Ce sera un effort constant, pour nous assurer que vous vous sentez en sécurité à nos tables de jeu. 

Si une personne qui lit cet article aujourd'hui pense que tout le monde ne devrait pas avoir d’égales opportunités, et que les BIPOC peuvent être la cible de leurs préjugés ou de leur haine, qu'elle sache que nous avons une opinion radicalement différente de la leur. Nous avons surtout une éthique différente. Et nous ne tolérerons pas ce genre de comportement.